Sans Patrie

Centre de rétention administrative: un simulacre sécuritaire

Esther Benbassa

Esther Benbassa

Publication: 22/04/2014 10h11
 
 

Vendredi dernier, en cette veille du grand week-end pascal, ma collègue Laurence Abeille, députée de la 6e circonscription du Val-de-Marne, et moi-même, nous avons usé de notre droit de visite -et de visite-surprise en l'occurrence-, au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes.

Les CRA

Les CRA ont été créés en 1984 par le Président François Mitterrand pour mettre terme aux rétentions illégales pratiquées dans les commissariats, dans les prisons, voire dans des hangars comme au port de Marseille. La rétention administrative, quant à elle, permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger non européen en situation administrative irrégulière au regard de la législation sur le séjour et sous le coup d'une mesure d'éloignement, dans l'attente de son renvoi forcé.

La rétention est décidée par l'administration, puis éventuellement prolongée par le juge, lorsque le départ immédiat de l'étranger hors de France s'avère impossible. Elle est en général limitée à 45 jours. La moyenne de séjour dans ce genre de lieux est de 16 jours, et environ 20% des détenus sont finalement expulsés. Les autres sont libérés, faute, pour l'administration, d'avoir pu procéder à leur expulsion, ou suite à l'annulation, par le juge administratif, de la mesure de rétention ou d'éloignement.

Entrée interdite aux journalistes

L'entrée des journalistes, je le rappelle, n'est pas autorisée dans les CRA. Et en fait, on ne sait pas grand-chose sur ce qui s'y passe. Raison de plus pour que des élu(e)s, qui le peuvent, s'y rendent.

Le CRA de Vincennes est situé dans l'École de police, dans le parc même de la ville. Le passage y est rare. Quelques membres d'associations qui viennent en aide aux détenus sont à l'entrée. Après les contrôles d'usage, un policier bon enfant et souriant accepte de nous faire visiter les différents bâtiments, à la place des responsables du Centre, retenus ce jour-là par une réunion à la Préfecture.

On arrive au bâtiment 1, le plus vétuste. Des policiers nous suivent, nous ouvrent des portes qu'ils referment immédiatement, le son assourdissant d'une télé que personne ne regarde nous accueille. Les chambres minuscules, délabrées, pour quatre personnes, avec des litssuperposés, sont vides.

Des "retenus" hébétés

Les détenus traînent dans les couloirs ou dans un espace de promenade à l'herbe pelée, se plaignant de leur inactivité forcée. La majorité serait de nationalité tunisienne. Il n'y aurait pas de mineurs. Il n'y a pas non plus de femmes, celles-ci étant rassemblées ailleurs, dans des centres pour femmes.

Pas d'agressivité envers les policiers de la part des détenus, mais une forte envie de nous parler, pour évoquer l'injustice à laquelle ils sont confrontés, nombre d'entre eux étant en France depuis de nombreuses années. D'autres nous racontent qu'ils reviennent ici tous les ans ou tous les deux ans, pour être finalement libérés, non sans avoir perdu, tout de même, en prime, l'emploi au noir qui les fait vivre.

Il y a les visages tendus de ceux qui disent leur peur de dormir la nuit dans ces chambres exiguës et d'être attaqués par d'autres détenus, dont plusieurs souffrent visiblement de troubles psychiatriques.

On a la nette impression que certains de ces derniers, à force de se voir administrer des calmants, ont sombré dans un état quasi léthargique. D'autres reviennent, dans une répétition obsessionnelle, sur leurs bobos mineurs, un nez qui coule, des aphtes autour de la bouche, etc. L'atmosphère est délétère.



22/04/2014
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