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Réforme du droit d'asile: cinq idées reçues sur un système à bout de souffle

IMMIGRATION FRONTIERES
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POLITIQUE - S'il vous faut une preuve que le clivage gauche-droite n'est pas dépassé, rendez-vous à l'Assemblée nationale ce mardi 9 décembre. Les députés entament en effet l'examen du projet de réforme du droit d'asile. D'un côté, l'UMP et le FN dénoncent "une approche trop naïve" et "une dérive immigrationniste" du droit d'asile et réclament un durcissement des conditions d'octroi. Le gouvernement veut pour sa part "redonner sa force au droit d'asile, constitutif de notre identité républicaine", selon les mots du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.

Le texte, préparé par Manuel Valls quand il était ministre de l'Intérieur doit permettre à la France de s'adapter à une directive européenne. Il s'appuie notamment sur un rapport rendu à l'automne 2013 par deux parlementaires (la sénatrice UDI Valérie Létard et le député PS Jean-Louis Touraine) qui étaient arrivés au constat partagé que le système d'asile est à bout de souffle.

Ce point, personne ne le conteste, et l'affaire Leonarda l'avait parfaitement mis en lumière. Pour autant, parmi les idées reçues sur la question, certaines méritent d'être écartées.

Il n'y a jamais eu autant de demandeurs d'asile: FAUX

Entre 2007 et 2013, le nombre de demandes a connu une augmentation constante. L'an passé, 65.894 adultes ont demandé l'asile en France, dont 60.095 l'ont fait pour la première fois. En 2007, ils n'étaient que 35.520, ce qui représentent une hausse de près de 85%. Ce chiffre n'est pourtant pas inédit dans l'Hexagone. Au début des années 2000, un tel pic avait déjà été atteint, tel que le montre ce graphique fait à partir des chiffres de l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Et le cap des 60.000 (hors mineurs) a même été franchi largement dans les années 80.

asile depuis 1981

Par ailleurs, le phénomène que connait la France n'est pas un cas isolé. Un rapport d'Eurostat publié en mars 2014 montrait que l'Allemagne avait enregistré plus de 125.000 demandes d'asile en 2013. Ramené au nombre d'habitants par pays, la France enregistre même cinq fois moins de demandes que la Suède et deux fois moins que la Belgique. Reste qu'avec un stock d'environ 30.000 dossiers qui peine à se résorber, les démarches des demandeurs se compliquent sérieusement.

Demander l'asile, ça prend du temps: VRAI

C'est notamment en raison de ce stock de dossiers que la procédure des demandeurs est engorgée. "Il faut 24 mois entre le moment où on dépose sa demande d'asile et le moment où on a une réponse", déplore le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Aujourd'hui, un demandeur doit faire une démarche à la préfecture (demande d'admission au séjour) avant que le dossier soit examiné par l'Ofpra qui donne un avis de première instance. En cas de refus, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) prend position.

procedure asile
Ofpra: Office français de protection des réfugiés et apatrides / CNDA: Cour nationale du droit d'asile / OQTF: obligation de quitter le territoire français.

Avec son projet, le gouvernement espère ramener le délai à neuf mois. Pour cela, il va permettre aux deux organismes (Ofpra et CNDA) d'instruire des procédures accélérées, quitte à ce qu'elles ne soient plus forcément collégiales. De plus, les dossiers évidents tels ceux "des Syriens ou des minorités chrétiennes d’Irak", pour lesquels "le statut de réfugié est acquis" seront instruits encore plus rapidement. Les dossiers manifestement abusifs seront aussi classés plus vite.

"Il ne faut pas qu'accéléré rime avec expéditif", a néanmoins mis en garde Geneviève Jacques, la présidente de la Cimade, association d'aide aux migrants. "Nous craignons une normalisation de ces procédures au détriment d'un examen des situations complexes, et qui le seront de plus en plus", a-t-elle ajouté.

Les conflits géopolitiques pèsent sur les demandes: VRAI

Dans son rapport annuel, l'Ofpra dresse la liste des pays de provenance de demandeurs d'asile. Si l'on se focalise sur les primo-demandeurs, la République démocratique du Congo (RDC) reste en tête avec environ 4000 demandes, devant le Kosovo et l'Albanie (environ 3300).

Mais l'institution note aussi une réelle incidence des conflits internationaux. "Au-delà des dix principaux pays de provenance, trois pays sont en forte hausse en 2013, en raison des événements ou conflits ayant lieu dans ces Etats", écrit l'Ofpra. C'est le cas du Mali avec plus de 1350 premières demandes (+135%), de la Syrie avec près de 900 premières demandes (+95%) et de la République centrafricaine avec près de 300 demandes (+342%).

La gauche octroie plus facilement l'asile que la droite: FAUX

Pour Bertrand Dutheil de La Rochère, conseiller de Marine Le Pen, cette "réforme renforcera le droit d’asile comme pompe aspirante de l’immigration". En clair, le Front national estime que le PS va confirmer son statut de parti laxiste en matière d'immigration. Et pourtant, jeudi, dans une tribune publiée dans Libération, les présidents de plusieurs syndicats de magistrats et du Syndicat des avocats de France ont dénoncé dans ce projet de loi "une machine à débouter et à expulser".

Alors qui dit vrai? Depuis 2007, les chiffres ont tendance à donner raison aux seconds, la taux d'admission étant inférieur en 2012 et 2013 par rapport à toutes les années précédentes.

Moins d'un dossier sur cinq débouche donc sur l'octroi du statut de réfugié. Mais le rapport de l'Ofpra permet de constater qu'il existe une vraie différence selon le pays d'origine des demandeurs. Ainsi, 95% des demandeurs provenant d'une ou d'un Syrien ont été acceptées en 2013. Les taux sont également supérieurs à 50% pour l'Iran, l'Afghanistan et l'Irak. En revanche, seulement 2,5% des personnes venant du Kosovo obtiennent gain de cause, 5,5% de Bosnie et 12,8% de Chine.

Toute la France est concernée dans les mêmes proportions: FAUX

Dans leur rapport rendu à l'automne 2013, Valérie Létard et Jean-Louis Touraine reprenaient un constat dressé par le ministère de l'Intérieur; certaines villes sont complètement "saturées" par les demandes. Ainsi, peut-on lire dans leur enquête, en 2012, 45% des demandeurs se trouvaient en Ile-de-France. En raison de cet afflux, les structures d'hébergement dédiées aux demandeurs d'asile (Cada) sont bondées, condamnant la moitié d'entre-eux à être logés dans des hôtels, ou à s'installer dans des squats plus ou moins salubres.

Ces situations créent de fortes tensions au niveau local, avec des amalgames entre populations roms, sans-papiers et demandeurs d'asile, parfois instrumentalisés par les représentants politiques. "Cela met en péril l'acceptabilité même de notre politique d'asile", écrivaient les parlementaires, qui se prononçaient alors pour "un pilotage directif des personnes dès leur entrée" dans le pays.

Une idée reprise par le gouvernement qui propose une sorte de quotas en répartissant les demandeurs sur le territoire et en supprimant les allocations aux étrangers qui refuseraient leur affectation. En parallèle, il est prévu d'améliorer les conditions d'accueil avec notamment la création de 5000 nouvelles places en Cada. Insuffisant, répondent en choeur les associations, selon qui le gouvernement ne se donne pas les moyens de sa politique. Déjà beaucoup trop pour ceux qui, à la droite de l'hémicycle, aimeraient durcir tous ces critères.



09/12/2014
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