Rapporteur à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Brice (1) est en grève ce mardi, comme nombre de ses collègues, pour dénoncer le «rythme insoutenable»auquel sont soumis les agents de la première juridiction administrative française. La CNDA, qui a jugé 37 000 affaires l’an passé, est chargée d’examiner les dossiers des demandeurs d’asile déboutés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Objectifs chiffrés, week-ends passés au boulot… Brice décrit ses conditions de travail.

 

«En tant que rapporteur, je suis chargé d’instruire, à charge et à décharge, les dossiers qui arrivent devant la CNDA. Je dois démêler les points qui restent à éclaircir, notamment sur les conditions géopolitiques des pays de provenance des demandeurs. A l’issue de l’instruction, je présente une analyse à la formation de jugement qui rendra sa décision. Certains dossiers peuvent être traités en deux heures. Pour d’autres, c’est plus long, notamment quand le demandeur d’asile est soupçonné, en fait, d’avoir commis des crimes dans son pays d’origine.

 

«On effectue un travail de recherche sur Internet, à partir des rapports internationaux de l’ONU, d’Amnesty ou de Human Rights Watch. Si on a besoin d’informations spécifiques, par exemple sur la hiérarchie interne de tel parti kurde, on peut demander au centre de recherche de la CNDA… mais qui est en sous-effectifs. Ce travail demande une certaine adaptabilité en fonction des pays de provenance. Un demandeur du Darfour, on ne lui demande pas d’évaluer les distances entre différents villages en kilomètres, mais en heures de marche. 

 

«On travaille toujours à flux tendu. Je termine souvent mes rapports la veille de l’audience. Dans certains dossiers, on n’a pas le temps de faire une instruction assez poussée, et on n’est pas sûr d’avoir fourni tous les éléments nécessaires. Nous sommes soumis à des obligations de quantité, mais pas de qualité. C’est problématique, car il s’agit d’êtres humains, pas de fruits ou de légumes. Un secrétaire d’audience, par exemple, doit assurer 56 audiences par an. Il faut savoir qu’une audience, c’est 14 dossiers à traiter en une journée… Un rapporteur, lui, doit instruire 372 dossiers dans une année, sachant qu’il est aussi chargé de la rédaction des décisions prises par les formations de jugement. Le rythme est effréné, on doit travailler les week-ends.

«La réforme votée il y a quelques semaines vise à raccourcir les délais d’examen et de jugement, en les faisant passer de dix-neuf mois en moyenne aujourd’hui (entre l’Ofpra et la CNDA) à neuf mois. Mais à quoi bon proclamer cet objectif alors que le système de l’asile est à bout de souffle et qu’on ne compte pas lui donner de moyens supplémentaires ? La future loi de finances ne prévoit par exemple que cinq rapporteurs supplémentaires par an, pendant trois ans. De notre côté, on estime qu’un rapporteur ne devrait pas traiter plus de 271 dossiers chaque année pour bien travailler.»

(1) Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé

 

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Sylvain MOUILLARD